Tables séparées (1958)
A l'Hôtel Beauregard, tous les hôtes ont un point commun : la solitude. Il y a le Major Pollack qui cache un sombre secret derrière ses manières policées de militaire ; Sybil Railton-Bell, une vieille fille timide et névrosée qui n'a pas le courage de se séparer de sa mère dominatrice ; John Malcolm, un écrivain désenchanté qui noie son amertume dans l'alcool et enfin Ann Shankland dont le narcissisme dissimule sa peur de vieillir seule et sans amour.
Au cours d'une soirée riche en émotions, ces quatre personnages malheureux vont affronter leurs démons... et changer leur vie pour toujours.
Quel film remarquable ! Il est rare de voir un si beau sujet porté sur les écrans et traité avec justesse, respect et intelligence. Car la solitude est un drame que tous les personnages de cette pension reculée vivent, subissent ou peinent à fuir.
Parmi la pléiade d'acteurs, se trouve Rita Hayworth dans le rôle d'Ann Shankland. Elle joue une femme désespérée, mais qui tente de masquer son désarroi en déployant une grande vanité et en arborant ses plus beaux atours. Au fond d'elle, Ann est malheureuse. Depuis son divorce qui l'a laissée exsangue, Ann n'a pas su remonter la pente. Il lui est également impossible de faire une croix sur son ex-mari, qu'elle décide de reconquérir. Mais au lieu de jouer franc jeu, Ann biaise et renonce à reconnaître son besoin absolu de vivre le restant de ses jours avec le seul homme qu'elle aime.
C'est donc Rita Hayworth qui incarne cette femme dont la beauté, prônée dans les magazines de mode, commence à se faner. Le temps rattrape cette femme fatale, la laissant sur le carreau, plus démunie que jamais. En acceptant ce rôle, Rita Hayworth paraît également se mettre à jour. Elle a désormais 40 ans, elle est consciente de ne plus pouvoir incarner le registre dans lequel elle a su convaincre et exceller. Avec le rôle d'Ann Shankland, elle montre ses failles, sa fragilité et le drame d'une façade impeccable sujette au temps qui passe.
Elle est tout bonnement bouleversante !
A ses côtés, on découvre un Burt Lancaster enflammé, un peu bourrin, mais qui joue le type ravagé par un mariage bâclé, enfermé dans le cercle vicieux de l'alcoolisme.
Quand au vrai-faux couple, Deborah Kerr et David Niven, il faut convenir à l'un comme à l'autre une performance époustouflante. L'une est méconnaissable, dans la peau d'une vieille fille étouffée par sa mère acariâtre, et l'autre donne beaucoup d'étoffe à son personnage troublant, sombre et inquiétant. Son secret, révélé à la face du jour, fait de lui la cible des ragots. L'homme se terre, prêt à capituler. Et pourtant...
Même si ces quatres acteurs ont leurs noms affichés en grand sur l'affiche du film, il faut aussi concéder aux seconds rôles leurs emplois incisifs, indispensables, déclencheurs des drames collectifs, mais également pansements, tampons et dérivatifs. Citons-les : Wendy Hiller, Gladys Cooper, Cathleen Nesbitt, Felix Aylmer, Rod Taylor et Audrey Dalton.
Dans ce huit-clos où l'on respire l'air de la mer et la campagne anglaise, on ressent toute la sensibilité, la rage et le désespoir de ces pensionnaires. Il est impossible de rester hermétique à une oeuvre d'une telle puissance, qui vibre et vous touche. Je ne suis pas prête d'effacer de ma mémoire le rôle de Rita Hayworth qui m'apparaît différente et encore plus attachante que dans ses rôles de "déesse de l'amour" (puisque tel était son surnom !). Elle prend ainsi un personnage de la même intensité qu'une Blanche DuBois ou une Margo Channing (dans All about Eve).
Remarquable, mémorable et saisissant !
Adapté de la pièce de Terence Rattigan. Oscar du meilleur film et Oscar du meilleur acteur pour David Niven.
Tables séparées, film de Delbert Mann (1958) - avec Rita Hayworth, Burt Lancaster, Deborah Kerr, David Niven. Titre vo : Separate Tables.
(video montage)